La politique des hommes forts en Afrique : Le cas du PDCI-RDA et Tidjane Thiam en Côte d’Ivoire

L’Afrique, continent riche en diversité et en potentiel, reste trop souvent prisonnière d’un modèle politique hérité de l’ère postcoloniale : celui des « hommes forts ». Ces figures, qui polarisent les partis et les projets autour de leur personne plutôt que de leurs idées, continuent de façonner des systèmes fragiles, où les institutions cèdent le pas aux ambitions individuelles.

En Côte d’Ivoire, cette réalité se rejoue aujourd’hui avec le PDCI-RDA, parti historique, et son leader controversé, Tidjane Thiam.

PDCI-RDA : Un parti historique en quête d’identité

Fondé en 1946 par Félix Houphouët-Boigny, le PDCI-RDA a longtemps dominé la scène politique ivoirienne, incarnant à la fois l’héritage de la lutte pour l’indépendance et l’autorité d’un parti-État. Mais depuis la mort de son fondateur en 1993, le parti peine à se réinventer. Les divisions internes, les défaites électorales face au Rassemblement des Républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, et l’absence d’un projet politique clair ont fragilisé son ancrage.

C’est dans ce contexte qu’apparaît Tidjane Thiam, ancien directeur général de Credit Suisse et Prudential, présenté comme un « sauveur » technocrate capable de redorer l’image du parti. Son élection à la tête du PDCI-RDA en 2024 avait suscité l’espoir d’un renouveau. Mais très vite, son leadership s’est heurté à une réalité : en Afrique, un parti ne se reconstruit pas autour d’une seule personne. 

Tidjane Thiam : Stratégies individuelles et contradictions politiques 

Le 14 mai 2025, le PDCI-RDA organisera un congrès électif extraordinaire, initié par… Tidjane Thiam lui-même. La manœuvre fait suite à sa démission surprise de la présidence du parti, interprétée comme une réponse à sa radiation de la liste électorale ivoirienne pour double nationalité. En effet, la loi ivoirienne interdit aux binationaux de se présenter à la présidentielle, un obstacle majeur pour Thiam, franco-ivoirien. 

 

Plutôt que de céder la place à une nouvelle génération de leaders, Thiam a choisi de contourner la décision judiciaire en forçant le parti à le « réélire » lors d’un congrès recadré. Une tactique qui, selon ses partisans, préserverait ses chances en 2025. Mais cette stratégie soulève deux problèmes majeurs : 

 

1. L’affaiblissement institutionnel du PDCI-RDA : En centrant toutes les énergies sur sa propre réhabilitation, Thiam marginalise les débats de fond. Le parti, déjà en perte de vitesse, risque de se réduire à un outil de légitimation personnelle, au détriment d’une vision collective. 

2. Le piège de la polarisation : En s’accrochant au pouvoir interne, Thiam alimente les divisions au sein du PDCI-RDA. Les cadres historiques, les jeunes militants et les alliés potentiels (comme le FPI) pourraient se détourner d’un parti perçu comme égocentrique. 

Ouattara et le risque d’un opposition affaiblie

Alassane Ouattara, président sortant et rival de longue date du PDCI-RDA, observe ces turbulences avec intérêt. Depuis 2010, le RDR a su capitaliser sur les fractures de l’opposition pour s’imposer comme force hégémonique. Si le PDCI-RDA s’enlise dans des querelles de leadership, il perdra non seulement en crédibilité, mais aussi en capacité à fédérer un front anti-Ouattara en 2025.

Pire : en misant sur une personnalité déjà controversée (du fait de sa binationalité), le PDCI-RDA offre à Ouattara un argument en or. Le pouvoir pourrait instrumentaliser la question du patriotisme et de la légalité pour discréditer Thiam, renforçant ainsi sa propre légitimité. 

 

L’Afrique a-t-elle besoin de « sauveurs » ou d’idées structurantes ?

Le cas de Tidjane Thiam illustre un mal africain profond : la persistance d’une culture politique où l’homme providentiel prime sur les institutions. Au Sénégal, en RDC, au Cameroun, des figures similaires ont émergé, promettant le changement… avant de reproduire les mêmes schémas autoritaires.

Pour sortir de cette impasse, l’opposition ivoirienne aurait besoin : 

– D’un projet clair : Réconciliation nationale, réforme agraire, emploi des jeunes… 

– D’une démocratie interne : Des primaires ouvertes, une rotation des leaders. 

– D’alliances stratégiques : Unir les forces contre un pouvoir sortant, plutôt que de se battre pour des ego. 

L’urgence de dépersonnaliser la politique 

Tidjane Thiam incarne à la fois les espoirs et les travers de la politique africaine. Son parcours brillant en fait un symbole de réussite, mais ses méthodes rappellent celles des « vieux » systèmes qu’il prétend combattre. En 2025, les Ivoirien·ne·s méritent mieux qu’un choix entre un président sortant usé et une opposition en crise identitaire.

Le PDCI-RDA, s’il veut survivre, doit cesser de tourner en rond autour d’un homme. L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux « hommes forts », mais de partis forts, porteurs d’idées fortes. À défaut, le continent restera enfermé dans le cycle sans fin des mandats prolongés et des espoirs trahis.